Le 26 juillet dernier, Philippe Katerine est devenu l’ambassadeur mondial d’une France qui jouit sans entraves. Grimé en bleu, il jouait le rôle de Dionysos dans une séquence de fête païenne imaginée par le metteur en scène Thomas Jolly, directeur artistique de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024, au cours de laquelle il dévoilait une nouvelle chanson, Nu – séquence qui n’a pas manqué de faire parler, une poignée de gens mal intentionnés ayant vu dans cette prestation le dévoiement de La Cène, d’après Léonard de Vinci, qui immortalise le dernier repas du Christ.
“Où cacher un revolver quand on est tout nu ?”, entonne le musicien dans ce single extrait d’un nouvel album attendu à l’automne. Comment un message de paix aussi limpide a-t-il pu susciter tant de quolibets ? Pour Les Inrockuptibles, Katerine revient sur sa nouvelle vie à poil, les coulisses de l’événement, sa nouvelle notoriété internationale, et nous confie même quelques infos sur ce disque à venir.
J’entends les cigales en arrière-plan, Philippe. Vous êtes en vacances ?
Philippe Katerine – Oui, je suis dans le Sud en ce moment.
Êtes-vous habillé, ou plutôt nu ?
Je suis quasiment nu, là. Ça tient à pas grand-chose. Ça tient souvent à pas grand-chose.
Votre premier single qui annonçait l’arrivée d’un nouvel album à l’automne s’appelait Sous mon bob. Celui que vous avez dévoilé en exclusivité lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris s’intitule Nu. Vous étiez donc nu sous votre bob.
Oui, c’est vrai. Me voilà mis à nu, avec votre analyse. Vous avez mis à jour ma stratégie.
C’est une façon intéressante de dévoiler encore un peu plus ce que sera ce nouvel album.
Dévoiler, voilà. C’est le mot. Que chantait déjà Juliette Gréco ? “Déshabillez-moi, déshabillez-moi.”
Il est encore trop tôt pour nous parler de cet album qui arrive, ou vous pouvez nous en toucher deux mots ?
Bien sûr. Ces deux chansons font partie d’un tout de 17 chansons. Je me suis laissé aller à un chiffre pour cette fois. J’ai pris ce risque. C’est très osé pour moi. Je serais incapable de qualifier ce disque. En tous cas, ce sont des chansons qui sont venues. Elles viennent, elles arrivent, comme un visiteur frappe à votre porte. Quel que soit son apparat, bah vous le faites entrer. Et puis on fait connaissance. C’est comme ça que ça se passe, avec les chansons. Il faut être dans un état de disponibilité, pour faire connaissance. Ce sont des chansons très apaisantes. À mon avis, hein. Vous savez, une chanson, il y a 1 000 personnes qui l’écoutent et 1 000 avis dessus.
Pour en revenir à la cérémonie des JO, la légende raconte que vous avez envoyé une vidéo de motivation à Thomas Jolly, le directeur artistique de cette cérémonie. À quoi ressemblait-elle ?
Eh bien, c’était l’hiver, sous la neige. J’étais nu. Face caméra, j’ai envoyé ma chanson en expliquant qu’il me semblait important qu’elle soit chantée à la cérémonie d’ouverture. J’avais pensé à trois arguments. Le premier, c’était l’origine des jeux. Les athlètes étaient nus. Le deuxième, c’était : “Allons vers la décroissance.” On voit bien que le monde doit aller dans cette direction, donc moins d’habits. Et le troisième, c’était tout simplement que nus, il n’y aurait pas de guerre. C’est d’ailleurs ainsi que la chanson commence. On ne peut pas cacher d’arme quand on est tout nu.
Cette chanson est donc à la fois un réquisitoire contre la fast-fashion et un message de paix ?
Exactement.
Thomas Jolly a tout de suite accroché ?
Il a été séduit par la chanson. Ça s’est fait très simplement. Ça s’inscrivait dans sa narration, visiblement. Il avait probablement besoin de cette chanson. Cela étant, je me suis prêté au jeu. C’est comme dans un film, vous êtes acteur, sauf qu’ici, j’emmenais un peu ma partition. Je me suis prêté à la mise en scène, à sa vision.
“Je me suis dit que j’allais lui proposer des idées sur comment je pourrais être. Alors, j’ai fait des dessins”
Ce n’est pas la première fois que vous apparaissez grimé en bleu. À l’occasion du numéro best of 2006 des Inrockuptibles, vous avez été peint en bleu sur la photo de couverture, signée Philippe Garcia.
Oui. C’était une époque où je faisais beaucoup de peinture sur corps après les concerts. Chaque membre du groupe, les techniciens faisaient une œuvre sur mon corps, tout ce qui leur passait par la tête. J’étais très peinture sur corps à cette époque. Quand Thomas Jolly m’a demandé d’être peint en bleu, j’étais donc très heureux de ça, déjà. Je me suis dit quand même que j’allais lui proposer des idées sur comment je pourrais être. Alors, j’ai fait des dessins. Je vous les envoie d’ailleurs, ça peut être marrant. Sur ces dessins, l’appareil génital était peint. Il n’y avait plus du tout de string. Thomas Jolly a trouvé ça très bien, mais il a rapidement compris que le CIO serait contre. Déjà, ils étaient contre l’idée que deux hommes s’embrassent… Heureusement, Thomas a eu gain de cause. Bon. Et donc, il est allé vers son idée de me représenter en Dionysos, ce qui m’a beaucoup plu aussi.
Vous n’étiez du coup pas nu, vous portiez une sorte de “hamac à bananes”, en quelque sorte.
Hamac à bananes… Ah oui, c’est vrai. Un peu. L’image est bonne. Ce qu’il y a de marrant, c’est qu’après la cérémonie, on m’a dit qu’il y avait des commentaires, du genre : “Il est tout nu !” Bien sûr que non. C’est intéressant de comprendre ce que les gens ont envie de voir.
Il a fallu parfois zoomer sur l’image de vous en Dionysos pour prouver que nous n’étiez effectivement pas nu. Et même après ça, certains n’étaient pas convaincus…
On voit ce qu’on a envie de voir. C’est immaîtrisable tout ça. La scène a été prise pour la Cène, ce qu’elle n’était pas du tout, il y a eu des malentendus. Je regarde les JO, j’adore le sport, et moi-même, quand j’ai vu le gymnaste de je ne sais plus quelle nationalité faire la croix de fer aux anneaux, j’ai tout de suite pensé à la crucifixion. On devient vite fou !
Ce qui me turlupine avec cette histoire, c’est que le message de paix, limpide, distillé par une chanson telle que Nu, soit si difficilement décryptable par certains. Comment l’expliquez-vous ? C’est à cause du côté loufoque de sa mise en scène qu’il n’a pas été pris au sérieux ?
C’est ça qui est drôle. Ce message de paix a provoqué la haine. C’est ironique. Et drôle.
Ce morceau a été coréalisé par Victor Le Masne, directeur musical de cette cérémonie, et Adrien Soleiman, qui a fait partie de l’orchestre de Lady Gaga. N’auriez-vous pas été un peu pistonné ?
Il faut savoir que quand j’ai fait cette chanson, j’ai tout de suite pensé à la présenter aux JO. Ça me semblait évident. J’ai eu… un flash. Ça m’arrive. Et là-dedans, Victor Le Masne m’a donné le numéro de Thomas Jolly. Je suppose qu’il ne s’est pas opposé à ma présence.
“Je suis un passionné de musique ! J’écoute énormément de choses. Tout ce qui sort, quasiment”
Vous côtoyez beaucoup de jeunes musiciens, qui eux-mêmes vous citent beaucoup comme une influence. Cette curiosité que vous avez pour la musique s’incarne comment au quotidien ? Vous êtes constamment en quête de nouvelles sonorités, de nouveaux outils ?
Ah bah, je suis un passionné de musique ! J’écoute énormément de choses. Tout ce qui sort, quasiment. Quand j’ai commencé, j’en écoutais déjà beaucoup, et ça n’a fait que s’accroître au fur et à mesure. Plus j’ai fait de la musique, plus je me suis passionné pour ça. Il y en a, c’est le contraire. D’autres s’enferment. Moi, c’est toujours allé en augmentant. Donc ça part tous azimuts.
J’ai parlé avec Sean O’Hagan cette année, qui a sorti un super album, Hey Panda, avec les High Llamas. Son approche de la musique me rappelle un peu la vôtre, originale, moderne, libre.
J’ai entendu cet album, bien sûr. C’est un disque de cette année que j’adore. Je pense qu’on boit à la même source, qui est Brian Wilson. S’il y a quelque chose en commun, c’est sûrement cela. Après, dans le dernier disque, j’ai entendu que ce n’était pas produit pareil, qu’il avait utilisé de l’Auto-Tune, et ça lui va à merveille. J’en ai utilisé aussi pour mon prochain disque, avec beaucoup d’enthousiasme. Il y en a assez peu, mais c’est un outil passionnant pour un musicien. C’est un compliment que vous me faîtes.
Vous vous apprêtez à faire le tour des Zénith en 2025, ce qui n’est pas une mince affaire. Vous aviez déjà eu une tournée d’une telle ampleur par le passé ?
D’un point de vue des dimensions, c’est la première fois. On me l’a proposé, et je me suis dit : “Tiens, ça peut ouvrir beaucoup de perspectives nouvelles pour moi.” Pas au niveau de l’audience, mais des idées de mise en scène. Travailler avec d’autres gens, tenter peut-être le spectaculaire… Donc je commence à écrire pas mal d’idées. C’est très excitant. Et les chansons peuvent s’y prêter. Même si ce sont des chansons très douces, je m’imagine très bien chanter Nu – je parle de la chanson ! – pour une large audience.
Le monde entier vous a découvert lors de la cérémonie d’ouverture des JO, mais vous aviez eu votre petit quart d’heure de gloire américain sur le plateau de Jimmy Fallon, en 2017, où vous aviez interprété Moustache. On en parle peu ces derniers temps, mais vous avez joué avec les Roots, quand même.
Oui, oh, ça reste anecdotique, certainement ! C’était pour moi une expérience inouïe, mais là, c’est différent. Il y avait 1 milliard de téléspectateurs, dans ces eaux-là. C’est effrayant. Et je dis effrayant, parce que, comme je vous l’ai confié, à cette échelle, on ne peut plus vraiment maîtriser les choses. On va dans d’autres cultures, en Asie, en Afrique. On ne maîtrise plus rien. Mais ce que j’ai aimé, c’est que la nuit qui a suivi la cérémonie, on a sorti le clip. C’était bien, parce que ça montrait une lecture plus personnelle. C’était ma vision de cette chanson. C’était bien d’avoir les deux versions. Il y en a une plus brute, où je suis nu, sans peinture. Et sans poils aussi, parce que je me suis épilé pour l’occasion, pour me donner un côté plus vulnérable, et peut-être plus androgyne. Même si j’en doute. Ça m’a beaucoup plu de proposer ces deux lectures.
La plupart des gens n’ont vu qu’une version, sans voir l’autre.
Oui, j’étais d’ailleurs très étonné de la polémique qui a suivi. Bon. Moi, je voulais choquer personne. J’ai même présenté mes excuses à ceux qui avaient confondu la Cène et la fête païenne, qui représente l’opposé. J’ai eu la foi quand j’étais jeune, j’étais très chrétien, et c’est vrai que ça m’emmerdait quand un vieil oncle me disait que c’était de la merde. Ce n’était, ici, en aucun cas l’intention de Thomas Jolly. Si ça a pu être interprété comme ça, j’ai eu, disons, l’urgence de m’excuser auprès de ces gens-là. Ça m’a soulagé. J’ai horreur de faire de la peine. Je veux bien les bousculer, mais choquer et faire de la peine, ça ne m’intéresse pas du tout. Ceci étant dit, j’ai fait mes excuses, certes, mais j’ai trouvé le tableau magnifique. Je suis très heureux d’avoir fait ça. Je ne regrette rien. Bien au contraire.
C’est une prestation qui restera dans les annales…
Oui, je regrette d’autant moins que le jour où je mourrai – bon, le plus tard possible –, eh bien, ce sera drôle de voir des photos éventuelles dans les journaux où je serai tout bleu. Même si je ne pourrai pas les voir.
Author : François Moreau
Publish date : 2024-08-01 10:41:41
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.
—-
Author : MondialnewS
Publish date : 2024-08-01 10:50:21
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.